La Libre Belgique – 05-05-2024
Dans les communes à facilités, les tracasseries linguistiques n’ont pas cessé
La sixième réforme de l’État, qui a notamment scellé la scission de BHV a-t-elle apporté la pacification communautaire dans les communes de la périphérie bruxelloise ? Sur le terrain, l’entente entre francophones et néerlandophones est qualifiée de “cordiale”. Quand on a un problème communautaire aujourd’hui, il vient toujours de l’extérieur”, affirme Pierre Rolin, le bourgmestre de Rhode-Saint-Genèse.
À Wezembeek-Oppem, près de 45 % des 14 500 habitants que compte la commune sont d’origine étrangère. Ils parlent plusieurs langues autres que le français et le néerlandais. C’est dire si le bain linguistique est intense. “Le français ou le néerlandais, peu importe, on s’adapte”, affirme la vendeuse dans une épicerie située avenue d’Ophem près de la paroisse Saint-Joseph. “Les habitants ici se débrouillent dans les deux langues et cela ne pose aucun problème”, reconnaît cette francophone qui habite à Steenokkerzeel.
Des élus qui ne comprennent pas le néerlandais
Alors que la tension communautaire était palpable il y a quelques années encore, d’autres questions semblent être devenues plus brûlantes. ” Les nuisances sonores que provoquent les avions qui passent au-dessus de nos têtes sont un vrai souci”, résume Michel Piens, retraité bilingue natif de Bruges. Ce dernier a scolarisé ses enfants en français à Wezenbeek-Oppem mais ses petits-enfants vont à l’école en néerlandais à Rhode.
“Aujourd’hui, nos enfants choisissent de scolariser leurs enfants en néerlandais, renchérit Jean-Pierre Butaye, conseiller communal bilingue (Les Engagés) à Wezenbeek-Oppem. C’est une bonne chose. Savez-vous que, dans notre commune, il y a des élus francophones de la majorité (LB-Union) qui ne comprennent pas ce qui se dit en néerlandais au conseil communal ? Ce n’est pas normal !”
Selon Jean Hermesse, le président du CPAS de Wezenbeek-Oppem, il y a de plus en plus de jeunes bilingues ou multilingues dans la commune. À l’évidence, le mélange des langues pose moins de souci aux jeunes qu’il n’en posait à leurs aînés.
Frédéric Petit (LB-Union, MR), bourgmestre de Wezenbeek-Oppem, reconnaît pour sa part que, dans la vie de tous les jours, il y a peu de problèmes linguistiques entre les citoyens dans sa commune. Les bilingues néerlandais-français sont de plus en plus nombreux dans la commune. “En 2016, plus de 8 000 habitants francophones ont demandé leurs documents en français. Aujourd’hui, on en compte deux mille de moins, soit environ 6 000”, souligne le libéral.
Mais cela qui ne signifie pas qu’il n’y a plus d’aigreur communautaire. Certaines tracasseries linguistiques sont toujours bien présentes. “Le service qui assure l’enregistrement des candidats à un logement n’est accessible qu’en néerlandais alors que 80 % des demandeurs ne sont pas des néerlandophones mais des… francophones”, souligne Jean Hermesse.
”Pesterijen”
Selon Frédéric Petit, la Flandre ne laisse passer aucune occasion pour limiter au maximum les droits des francophones dans les communes à facilités. “Le gouvernement flamand nous interdit de tenir un registre linguistique. Mais nous en avons besoin pour enregistrer la volonté des francophones de recevoir leurs documents administratifs en français. Et le Conseil d’État nous a donné raison sur ce point. La Flandre tente néanmoins de restreindre la portée de son arrêt.”
Autre exemple : la justice. “Aujourd’hui, les francophones des communes à facilités peuvent aller devant des tribunaux bruxellois. La Flandre veut supprimer ce système hybride, réservé aux facilités. La régionalisation de la justice est une priorité pour l’actuel gouvernement flamand. La justice de paix à Kraainem a été supprimée, les francophones de Kraainem doivent aller à Rhode-Saint-Genèse maintenant.”
Dernier café flamand de Rhode
La taverne” Ons Parochiehuis” est un lieu emblématique pour les néerlandophones de Rhode, situé à deux pas de l’Église Sint-Genesius. On y parle flamand, bien sûr. Tous les jours, des hommes, seuls pour la plupart, s’y retrouvent. La bière, servie au fût, y coule à flots. Dans ce “café brun”, les langues se délient vite. Un homme nous adresse la parole, en néerlandais. “Vous savez, nous les Flamands ici ‘en bas’, on ne fait pas exactement ce qu’on veut à Rhode. Ce sont ceux d’en haut, vous savez, ceux qui habitent le quartier de la Grande Espinette, qui disent ce qu’on doit faire.”
Or, aujourd’hui, “le bas” de Rhode est également peuplé de francophones. Néerlandophones et francophones s’y côtoient et cela se passe bien. Environ 70 % des habitants de Rhode votent pour des partis francophones. Y a-t-il encore un problème de langue dans cette commune d’un peu moins de 19 000 habitants ? Le bourgmestre Pierre Rolin (Intérêts Communaux), bon bilingue, n’en voit plus sur le terrain. “Soixante ans après son introduction, le système des facilités s’avère être un système qui fonctionne bien”, précise-t-il. C’est une question de bonne volonté.”
Convocations en français
De temps en temps, les tracasseries linguistiques reprennent cependant… “Ainsi, Ben Weyts, (N-VA) ministre flamand en charge de la périphérie bruxelloise, a mis en place, en octobre dernier, une Plateforme d’informations immobilières pour la Flandre, expose Pierre Rolin. Cette plateforme permet aux notaires, mais aussi à des particuliers, de connaître l’état urbanistique de n’importe quel bâtiment. L’avancée est réelle en termes de simplification administrative. Mais les documents qui s’y trouveront seront exclusivement en… néerlandais. Pour obtenir ces documents en français, il faut effectuer une démarche auprès de la commune qui devra effectuer elle-même la traduction des textes. Cela représente pour nous une énorme charge de travail supplémentaire.”
”Si nous avons un problème communautaire, il vient toujours de l’extérieur”, prolonge le bourgmestre de Rhode-Saint-Genèse. “À la suite d’une plainte d’un élu N-VA, le gouverneur du Brabant flamand, Jan Spooren (N-VA), a interdit récemment, l’utilisation de notre nouveau logo, voté aux conseils communal. Le gouverneur le juge trop… bilingue. La partie francophone du logo y serait trop visible.”
Le bourgmestre, légaliste, rassure. “Sur le fond, nous l’emportons toujours. La N-VA le sait bien, mais pour elle, ce sont des opérations de communication, ce qui intéresse les nationalistes, c’est la symbolique”, constate-t-il. Et de conclure : “En période d’élection, certains vont laver plus blanc que blanc. Nos habitants qui en ont fait la demande à l’avance reçoivent leur convocation pour les élections de 9 juin en français. Nous appliquerons à la lettre l’arrêt du Conseil d’État. À Rhode, francophones et néerlandophones, sont logés à la même enseigne”.
Même son de cloche à Linkebeek, la commune voisine de Rhode-Saint-Genèse qui compte moins de 5 000 habitants dont 85 % sont des francophones. L’échevin Benjamin Daro (Les Engagés) estime que, à l’approche des élections, les choses se calment… par nécessité. “Du reste, les guérillas linkebeekoises sont loin derrière nous, l’entente est cordiale à présent”, dit-il.
Ces tracasseries régionales ? Oui, il y en a encore. “L’exemple de la mise en place du Omgevingsloket (Guichet environnement), une plateforme censée être bilingue, est pertinente. Mais, dans les faits, cette plate-forme fonctionne seulement en néerlandais et n’a été que partiellement traduite en français. Ce qui est inacceptable,” souligne l’échevin en charge de l’Environnement à Linkebeek. “C’est la preuve pour moi que, dans leur vision, les facilités n’ont pas vocation à perdurer”, craint M. Daro.